DE L’ANTIQUITE A LA RENAISSANCE ITALIENNE


Si Ferdinand Bac est très attiré par l’antiquité, c’est sans aucun doute parce qu’il est d’abord un grand admirateur de l’Italie. Ce pays chargé d’histoire fait partie de ses références principales en matière de jardins.

Notons également que sa formation dans les écoles de peinture de Paris a disposé F. Bac à l’apprentissage de la statuaire et de l’architecture romaine antique. Il s’agit à l’époque d’un passage obligé pour tout étudiant en art.


NERON

« Néron, mais n’est-il pas, avec Tibère et Hadrien, le parrain véritable des jardins d’Europe ? » F. Bac, extrait de « L’Art des jardins », septembre 1925.

L’œuvre majeure de Néron en matière d’art des jardins est La Domus Aurea située à Esquilin à proximité de Rome. Ce palais exceptionnel représente un véritable microcosme dont Néron est le centre. Une statue de 30m de haut le représente sous l’aspect de Helios-Soleil.
C’est dans les salles du Palais que pénètrent les artistes de la Renaissance pour faire des copies des fresques utilisées dans les décorations et appelées « grotesques ». En effet, cette technique d’ornementation est la plus caractéristique de la Domus Aurea. 
La décoration picturale mêle à la fois l’usage traditionnel et le « quatrième style », ce qui donne à l’ensemble une qualité dépassant les variantes pompéiennes. La plus célèbre des fresques est sans aucun doute celle qui se trouve dans la salle d’Achille à Skyros. Elle se détache des normes de la peinture grecque classique et pourrait être attribuée à Fabullus. D’ailleurs nous savons que cette salle est sur le chemin de visite des artistes de la Renaissance lors de leur découverte de la Maison dorée. 

A l’extérieur, un vaste jardin composé d’un lac artificiel, d’une réserve de bêtes sauvages ainsi que de grands vignobles, entoure l’ensemble de la demeure. Le jardin est dessiné et composé de plusieurs parties à thèmes, propres aux villas romaines.

Cet ensemble témoigne de la fascination de Ferdinand Bac pour les projets idéalistes. Le jardin est démesuré, et les fresques intérieures du palais font sûrement partie de ses références en matière de représentation picturale.


HADRIEN

Dans le livre Les Colombières, Ferdinand Bac avoue explicitement que son inspiration lui est venu de la Villa Hadriana à Tivoli.
Cet ensemble de bâtiments et de monuments, implanté au pied de la colline de Tibur, est une reconstitution des édifices et des sites célèbres admirés par l’Empereur lors de ses voyages. Ce jardin est d’ailleurs conçu comme un « lieu imaginaire ».


Ferdinand Bac explique en 1926 :
« J’ai oublié de vous parler d’un autre père des jardins, voyageur raffiné et dédaigneux, l’empereur Hadrien. Ce grand solitaire a incrusté dans ses jardins une nostalgie immense. C’est celle d’une âme qui a voulu capter là les délices de Tempé et de Canope, Toutes les stations où il avait découvert la Beauté, pour se souvenir de leur éblouissement quand, aux beaux jours d’été, il parcourait ses terrasses rousses. Si, pour la plupart, le jardin est une parcelle de vie intime, animé du râteau et de l’arrosoir, pour Hadrien, il était une réduction de l’Univers, le rendez-vous méditerranéen où les émotions d’un pèlerin terrestre se pressaient comme les vagues de Mare nostrum et se mouraient doucement sur le rivage d’Ostie. En tout cela je me sens un peu un élève d’Hadrien qui, d’un jardin, a voulu faire un temple de ses souvenirs. » F. Bac, extrait de L’Ame des jardins, 1926.
La Villa Hadriana est certainement le lieu préféré de l’empereur car il sait y mettre en valeur son sens artistique. Il aime inventer des ensembles nouveaux, certains intimes, d’autres solennels ou encore propices à la réception de ses nombreux hôtes.
Chacun de ces lieux renvoie à une image mythologique forte, et illustrée par une réplique d’œuvre d’art célèbre. 


« Le théâtre maritime », ressemble à une petite villa isolée par un canal circulaire et reliée par un pont mobile. Un portique de colonnes, couvert d’une voûte, chapeaute l’ensemble. C’est à la fois l’autonomie de chaque espace, et son rôle essentiel dans la distribution du reste du Palais, qui caractérise le mieux la Villa Hadriana.


VERONE

« Le souvenir d’une promenade au jardin Giusti à Vérone s’est incrusté là. Un fausse porte s’y creuse sous un rocher, créant la sensation de l’infini. Déjà, sous le jour cru, la perspective que crée le trompe-l’œil divertit nos yeux et nous berce comme un projet de voyage que notre index suit sur une carte et que nous ne ferons qu’en esprit. » F. Bac, extrait de L’Art des jardins, septembre 1925.

L’histoire de Vérone est intimement liée à celle de la famille Giusti. Ainsi, fière de son jardin commencé en 1570, emblème de la puissance familiale et célèbre pour sa grâce, la branche des Giusti de Santa in Organo, ajoute à son nom « del giardino ».
Au XVème siècle, le parc familial est le mélange d’un jardin vénitien et d’un jardin toscan. En effet, à Venise, le jardin composé de vestiges antiques, celui de l’âge d’or grec et romain, est très prisé. L’art topiaire est aussi une référence. En Toscane, la préférence est au jardin dessiné par la géométrie et la symétrie. 
La partie plate du jardin, divisée en deux par l’allée de cyprès, est divisée en zones carrées, par des allées secondaires perpendiculaires à l’allée principale. Des parois de hauts cyprès forment des « cabinets » dans lesquels se dressent des statues et des fontaines.

Au XVIIIème siècle, le paysagiste Luigi Trezza fait abattre les grands arbres pour mettre en valeur des parterres de plates-bandes à la française ornées de statues. Une grotte flanquée d’un masque énorme et fantastique représente les quatre éléments. « Je me souvins des architectes italiens qui « supprimaient des montagnes » par une porte se creusant dans un rocher. » F. Bac, L’Illustration, février 1924. Une composition sculptée à l’intérieur de la grotte fait référence aux éléments. La représentation de petites fleurs de montagne met en évidence l’air frais des Alpes, l’eau apparaît dans les coquillages et la nacre, et le feu se déclare dans le rouge du corail. L’ensemble reste feutré dans les ténèbres de la terre. Des miroirs déformants, le bruit sourd de l’eau et son écho, fabriquent une ambiance étrange de crainte. A la sortie, le labyrinthe de topiaires pourrait évacuer toutes ces peurs en plein air. 
Le paradoxe de la nature représentée comme impénétrable et inquiétante, alors qu’elle a été entièrement maîtrisée par le dessin de l’homme, est donc mis en valeur dans l’ensemble du jardin.